Un peu plus clairement donc, dans l’espoir que cela puisse être utile, si pas à toi, à quelqu’un d’autre. Les chants des oiseaux rythment mes mouvements sur le clavier ; le soleil va bientôt se lever. Il est cinq heures pile du matin. Je me suis évidemment demandée si ce que je vais faire est juste. Mais l’idée m’en est venue d’une façon si naturelle qu’elle ne peut pas être erronée ; d’ailleurs, ce que j’écris sera bientôt englouti dans le flux des informations circulant sur le net. Il n’en restera presque aucune trace. Quant au contenu, ceux qui savent de quoi je parle le reconnaîtront immédiatement. Les autres le rangeront tout de suite dans le tas de bêtises, ou, au mieux, d’histoires bizarres et sans fondement, dont la toile est bondée. On va dire qu’il s’agit d’un conte fantastique, et toute le monde sera content. Que s’est-il passé, donc. Notre vie sur terre est une évolution, cette évolution présente des stades. Une fois dépassé l’enfance, dès que la pensée et les habitudes sociales se sont emparées de nous, on n’est plus qu’un corps sans conscience. Le monde qui nous entoure nous a conduits à oublier notre lien avec l’infini et on vit au jour le jour, isolés de tout, dans une tristesse mortelle. Le refus et la peur sont nos meilleurs compagnons, on fait et on se fait du mal. On rêve de quelque chose qui nous délivre du quotidien. Certains le cherchent dans les drogues, d’autres dans l’alcool, d’autres encore dans la religion ou la philosophie ; ou bien, dans les émotions fortes, dans l’amour, dans les plaisirs, dans le bonheur de l’instant. Plus on s’approche des hauteurs le long de cette évolution, plus le cri de l’infini devient irrésistible. On commence à avoir des soupçons : une chanson dont le texte nous semble fascinant et mystérieux, un fait qui reste gravé dans notre esprit et qui semble porteur d’un sens qui nous échappe, un film qui nous parle de dimensions autres, dans une langue que l’on ne comprend pas mais qu’on a l’impression de connaître – autant de signes, auxquels on s’accroche comme les croyants s’accrochent au manteau des saints. Simulacres à la voix puissante, qui nous appellent vers quelque chose que nous ne saisissons pas, mais qui résonne en nous d’une façon familière. Puis, un jour, à la suite d’un fait spécifique, toutes ces sensations vagues acquièrent un sens précis. À partir de ce moment on n’est plus les mêmes, et ce n’est pas juste une tournure de phrase, c’est la vérité matérielle, inscrite dans notre corps. Quelque chose a brisé le miroir de notre auto-contemplation, ce produit de notre réflexion qui nous fait tourner en rond en nous renvoyant de nous-mêmes à nous-mêmes, du penseur à la pensée, du Je au Moi, de l’image du monde que nous nous sommes construits à ce que nous pensons d’elle ; la cage qui nous coupe de l’infini auquel nous appartenons depuis toujours. Les formes que cette cassure peut assumer sont multiples, mais généralement il s’agit d’un événement choquant, assez fort pour nous obliger à dépasser la pensée rationnelle et la séparation entre sujet pensant et objet pensé. Il peut s’agir de peur, de rage, de souffrance. Dès qu’une émotion pénible devient assez forte pour nous déstabiliser totalement, au point de nous faire perdre tout repère et de mettre sérieusement en danger notre équilibre, on est projetés dans une dimension autre, dans laquelle Je et Moi n’existent pas, où il n’y a pas de passé, ni de futur, ni de différences ni de valeurs, où tout se tient d’une façon totale, parfaite et originaire. Cela arrive en un instant. Juste avant que cela ne se produise, et à peine après, on a le choix. On peut choisir de franchir le pas et de connaître, en acceptant le prix exorbitant d’une telle connaissance (car il s’agit de renoncer à tout ce que l’on sait, y compris l’idée même que l’on a de soi), ou bien on peut choisir de reculer, de faire comme si de rien n’était, et d’essayer d’oublier. Toutefois, pour avoir un tel choix, il faut que quelque chose nous oblige de choisir. Car il s’agit d’un changement si lourd, si douloureux, si difficile, que personne n’aurait la force de le désirer de son propre mouvement. Et c’est bien ainsi, puisque pour survivre à un éclat si immense on doit avoir déjà développé une certaine résistance à la lumière ; la voir à brûle-pourpoint, sans aucune préparation, signifierait en être écrasé. D’ailleurs, un tel dépassement de la pensée ne peut pas se produire de façon intentionnelle ni ne peut être provoqué par des moyens communs ; il faut qu’un événement nous y amène de façon spontanée. C’est l’immense cadeau que tu m’as fait sans le savoir. Dès que cela arrive, et qu’on a choisi de connaître, des bribes de sens commencent à faire surface. Une à la fois au début, puis par flots successifs. Plusieurs faits du passé acquièrent un sens, d’autres se lient entre eux de manière naturelle et dévoilent leur signification. Certaines émotions disparaissent, d’autres font surface à nouveau. On ne partage plus la peine des autres, ni leur souffrance. On peut toujours les voir, mais on n’en est plus touchés car on a appris qu’elles sont le fruit de l’illusion que l’être humain se forge tout seul. L’amour survit, mais en changeant d’aspect et de perspective, en s’élargissant, en devenant plus puissant et plus libre. L’empathie augmente de manière vertigineuse ; on sait sans savoir, sans réfléchir. Tout cela n’arrive pas en un clin d’œil mais au fur et à mesure que l’on progresse sur la voie que l’on a choisie, et que l’on apprend, petit à petit, à accepter de se détacher de son ancienne façon de voir les choses. La résistance physique augmente, le métabolisme devient plus rapide. On ne doute plus, ou presque, car on sait de façon instinctive quelle direction il faut prendre. Le champ magnétique émanant du corps s’étend de façon remarquable en affectant les objets environnants, et de plus en plus au fur et à mesure que l’on progresse dans la conscience et dans la capacité de manipuler l’énergie. Les épisodes de transmission de la pensée se multiplient et se développent. Après, il peut y avoir des symptômes spécifiques pour chacun ; le mien, jusqu’à présent, c’est un vertige presque constant, qui augmente dans les moments d’oscillation ou de déplacement du point d’ancrage, jusqu’à atteindre des intensités difficilement tolérables lors des épisodes les plus forts. Le fait est que notre perception de l’univers est déterminée par notre point de vue ; or ce ” point de vue ” n’est pas, encore une fois, une simple tournure, une métaphore, mais un véritable point d’ancrage, un point physique situé dans notre corps. Chez les personnes ordinaires ce point est situé à un endroit précis et il ne bouge pas au cours de l’existence entière. Chez les autres, il peut se déplacer – ou pour mieux dire, on peut le déplacer à volonté, une fois que l’on a appris comment le faire (ce qui n’est pas évident du tout). À chaque position correspond une perception différente, qui ne consiste pas simplement en une nuance dans la manière de voir, mais qui consiste à voir des mondes différents. À l’intérieur de ces mondes, on peut vivre et faire des expériences tout comme dans celui auquel nous sommes habitués. Tout cela pose bien évidemment des risques que l’on doit être préparés à assumer. En fin de compte, on choisit librement où on veut aller et ce qu’on veut voir. Un tel ” pouvoir ” pourrait être dangereux, mais tout risque dans ce sens est, de fait, irréel. Dès qu’on a dépassé le point sans retour on n’est plus intéressés à s’appliquer à des fins pratiques ou pour atteindre des avantages personnels. Le fait même d’avoir renoué son lien avec l’infini apporte la sagesse ; le seul intérêt qui subsiste, c’est l’envie de revenir à la racine. Par la suite, le travail de nettoyage des passions, nécessaire pour avancer dans la connaissance, achève le processus que le premier déplacement du point d’ancrage avait déclenché. À partir de là, on est libre. Libre d’une façon totale et inimaginable, libre à jamais. Je ne m’attends pas à ce que mes mots produisent des effets. Je n’ai aucun but pratique, sauf celui de réfléchir à ce que je suis en train de faire. Je ne suis pas un exemple à suivre, je suis un être humain qui lutte pour renouer son lien originaire. Ce que j’écris n’est pas un modèle ni un paradigme, c’est simplement un court résumé du peu que j’ai appris jusqu’à présent, en faisant les choses toute seule et au prix d’efforts considérables. Tant que je vis je te serai reconnaissante pour m’avoir donné l’occasion que j’attendais depuis que je me souvienne. Rien que je puisse faire ne pourrait payer une telle dette. Sauf te montrer ce que tu m’as montré, mais je ne le peux pas. C’est un choix individuel, qui dépend de sa propre force et de sa propre volonté et, bien avant que cela, du fait qu’on ait eu au moins une occasion de voir. C’est mon plus grand espoir qu’un jour tu puisses comprendre ce que j’entends. Je ne reviendrai plus sur le sujet d’une façon si explicite. Ce sont des choses si anciennes et si universelles qu’à peu près toutes les disciplines et les philosophies en traitent ; qu’il s’agisse de Tantra ou d’alchimie, de yoga, de magie ou de kabbale, les mêmes vérités intemporelles sont contenues dans le noyau ésotérique de chacune d’elles. Si l’on veut comprendre, il suffit de chercher. J’ai écrit ces mots comme trace à suivre pour qui voudra. J’ai écrit ces mots comme remerciement pour toi, une déclaration d’amour éternelle. Paroles publiques d’un discours privé.